10.6.06

Expo: François-Marius Granet 1775-1849


Si l’on devait comparer... Ici les dessins ( aquarelles et lavis ) prennent une ampleur absente chez Hubert Robert. Plus de 200 dessins, nous dit-on, que Granet voulut léguer au Louvre. Laisser au Louvre. Nous voilà à nouveau dans le vif du sujet (cf. voir la chronique sur Robert Hubert) : le dessins R est un présent.


Lavis — Réception des lumières, distribution d’ombres. On remarque trois valeurs : deux pour l’ombre et une pour la lumière. Quand ce n’est pas la feuille vierge qui prend à charge le dernier renvoi du rayon et traverse la feuille comme une raie négative. De même, quand il s’agit d’indiquer la profondeur de champs avec une trouée.





Dessins 42 La Befana à Rome, effet de nuit. Plume et ancre noir, sur traits de graphite.
Plus savant que le précédent, comparable à certain lavis de Rembrandt.

Raccourci des traits et des ombres. L’économie du dessin est l’art de supprimer des indications à l’aide des bords et des contrastes, pour que ce soit l’œil qui, au moment de raccorder les valeurs, restitue le volume. Cette opération : la synthèse des formes, que l’œil réalise in vivo, produit la joie…

Illustration et dessin diffèrent en ce point : le premier, anecdotique et descriptif, elliptique et évocateur, le second.

Autrement : intérieur des églises et couvents, prédilection pour les espaces clôturés. Chambre noir. L’art de la voûte. On trouve souvent cette figure : l’arcade lumineuse, l’ombre des personnages projetée au sol…

Nous sommes dans les domaines du dessin R ? Le dessin 42, certainement.
Mais les dessins de Granet que j’aime le plus, et qui font partie du legs, ne se trouvent malheureusement pas exposés. Une suite de Lavis où le sujet est l’atelier du peintre…
Jugez vous-même :


Pour en voir d’autres allez à :
Inventaire du Département des Arts graphiques du Louvre


Coda
Dessiner… le mot lui-même agit comme un excitant, je me vois en train d’appliquer des couches, tracer au crayon, revenir au pinceau, tracer des lignes aussitôt diffuses, je lis la mare humide, des zones estompées, et je reviens à la charge…
Au même temps, je devine, une réaction qui par capillarité secrète des substances ou du moins un drainage plus intense du sang, un chatouillement du plexus. Comme la décharge chimique à la vue, toujours soudaine, d’un dessin : un quart de feuille, son fond aqueux, lavis et ancre noir, des traits, comme maintenant quand je sors de l’expo et que je vois et désire au-dessus de la perception ou en retrait de celle-ci, cette… cette quoi ? Comment doit-on appeler cette « image » qui soudain surgit sans pour autant apparaître, semblable à une tâche aveugle ou au punctum coecum ? Comme si ce punctum était, en fait, une chambre noire ou un Cabinet des Dessins, celui du Louvre, où j’ai toujours désiré entrer par effraction, la nuit, accompagné d’une amante…
Actéon

6.6.06

After life : Vivre sa vie…

Si actualité il y a, c’est celle du blog… Le film du cinéaste japonais Kore-Eda Hirokazu date de 1998 mais il aurait pu s’intituler « Vivre sa vie » ou « Deux ou trois choses que je sais d’elle » (la vie) ou, pourquoi pas « Sauve qui peut (la vie) » (toujours), voire « Bande à part » (jetez un œil du côté du Labo 6)… Ou « La vie des morts » ?… mais on s’égare. Rencontre de hasard. Il se trouve que j’ai découvert le film en vidéo hier. La question de son actualité est hors de propos, en raison à la fois de l’argument et de la qualité de l’œuvre.
L’argument, donc : un seul lieu, un bâtiment nu et austère, hors d’âge, une semaine, égrenée jour après jour. Les morts transitent par là, entre leur décès et le moment du départ vers l’éternité. Ils sont accueillis par un personnel compétent et bienveillant qui leur indique les règles du jeu : les morts ont trois jours pour choisir leur « meilleur souvenir », celui-ci sera filmé et projeté. Une fois qu’il aura été ainsi revécu par chacun d’eux, les morts l’emporteront avec eux en oubliant tout le reste. A partir d’une question qui pourrait alimenter une discussion de fin de soirée ou de dimanche désœuvré, figurer dans une page de magazine entre « Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ? » et « Votre dernier fou rire ? », Kore-Eda Hirokazu visite des contrées aussi essentielles que la mémoire, le sens de la vie… et le pouvoir du cinéma.
Vie ordinaire, vie aimée ou vie détestée, plaisir de se remémorer ou refus de choisir, absence de souvenir, mutisme : les morts défilent, en plan fixe, la caméra épousant le regard du personnel qui mène l’entretien. Ils choisissent un souvenir amoureux ou un souvenir de guerre, le son d’un grelot, le contact et l’odeur d’une mère, les attentions d’une épouse, un accouchement douloureux ou un suicide heureusement manqué. La question est réitérée, invariable, au fil des plans : qu’est-ce que vivre sa vie ? De cette femme au visage lumineux qui s’exclame « C’est formidable d’avoir vécu ça ! » à cet homme, indécis, obligé de visionner en 70 bandes vidéos les 70 années de sa vie, désolante de « normalité », sa vie qu’il n’a pas su vivre, afin d’y trouver le souvenir qui l’accompagnera dans l’éternité. Ou ce jeune homme de 22 ans, qui préfèrerait emporter un rêve et qui décide finalement de ne pas choisir, de manière à assumer l’intégralité de sa vie. Comment faire tenir toute une vie dans un seul souvenir ? On pense alors à une réponse en forme de proverbe zen : « La goutte d’eau sait-elle que l’océan est en elle ? » Le film ne tranche pas.
Le personnel est constitué de ces morts qui n’ont pas voulu choisir. Ils restent dans l’entre-deux. Ce sont des passeurs, des accoucheurs de mémoire… ce sont des cinéastes aussi, qui discutent de la manière de représenter fidèlement tel souvenir afin que le défunt se le réapproprie au mieux. La force du propos, la simplicité et la sensibilité de son traitement, le dispositif cinématographique qui vous confronte directement aux personnages, vous entraînent à vous interroger, vous aussi, et vous sentez que c’est du côté des tripes que cela travaille. After life… titre bien factuel. Le titre original, si je ne me trompe, était quelque chose comme Beautiful life. Disons que j’aime cette idée.

S. Spandonis

4.6.06

Expo Hubert Robert 1733-1808

Dessins R.

Rien de ce que l’on pourrait appeler un dessin remarquable. Sanguines : paysages et ruines. Un métier restreint au graphisme ; la même différence qu’il y a entre un procès verbal et « Crime et châtiment » de Dostoïevski.


Mais, qu’est-ce qu’un dessin remarquable ? (dessin R) Il est impossible que l’on puisse trouver un critère universel, mais, je me conduis comme si, au fond de moi, ce critère existait. Une galerie de traits et de formes qu’un dessin doit venir frapper comme la peau du tambour, car je suis cet homme gravé par le hasard et la fortune, qui rit et qui pleure, qui éprouve avant de penser, et qui pense sans savoir ce qu’il sent, marqué, dit-on, par la vie, ayant des penchants.
Les attraits de la vie, une carte qui nous représente; si un dessin quelconque nous touche : il est remarquable.
Le dessin R est séparé du jugement par une nappe aux propriétés paradoxales.
Le dessin R n’est pas le moyen d'obtenir une joie, c’est la joie elle-même.
Si j’éprouve de la joie à la vue d’un dessin, je n’aurais pas l’idée qui peut l’exprimer dans un raisonnement car je suis en lieu et place de ce raisonnement même.
Si je pense un dessin, je supprime la joie, c'est-à-dire la source, le dessin R lui-même. A chaque représentation psychique suit une impulsion qui de produire joie ou peine se soustrait au langage. Dans le cas contraire vous pensez, devenez sérieux, prof d’esthétique, etc.

Je passais devant les dessins de Mr Hubert sans éprouver le moindre chatouillement. Aucune évocation à part le constat d’un travail appliqué, régulier et morne. Un travail notarial contemporain des Compagnes d’Egypte. C’est dire.

En sortant de l’expo, j’avais déjà la chronique en tête, (Bernardo n’allait pas aimer) j’espérais seulement que les lecteurs auraient la bonté de nier tout ce que je venais d’écrire, et iraient voir l’expo pour se faire une idée eux-mêmes.
Actéon
La fiche du Louvre:
Arts graphiquesdu 01-06-2006 au 16-10-2006
Hubert Robert 1733-1808Dessins du Louvre

Un large choix parmi les deux cents feuilles d'Hubert Robert conservées au Louvre révèle d’autres faces de cet artiste, plus complet et plus complexe que ne le suggère la rumeur attachée à son nom.
Face à ses somptueuses sanguines sont présentés un grand nombre de croquis rapides et justes, lumineux et souvent cocasses, d’une exceptionnelle liberté de facture ; ils témoignent à la fois de la spontanéité de ce que voit et sent l’artiste et sa capacité surprenante à transformer cette réalité sous forme de caprices. Le dessinateur de ruines s’y découvre capable d’associer le quotidien le plus banal à l’intérêt qu’il porte au visionnaire Giovanni Battista Piranesi, le Piranèse. Hubert Robert met son étonnante inventivité au service d’une nouvelle vision du paysage et au renouvellement de l’art des jardins dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
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Actéon:
PS/ vous pouvez suivre dans mon blog le récit MANUSCRIT JAZZ QUARTET