6.6.06

After life : Vivre sa vie…

Si actualité il y a, c’est celle du blog… Le film du cinéaste japonais Kore-Eda Hirokazu date de 1998 mais il aurait pu s’intituler « Vivre sa vie » ou « Deux ou trois choses que je sais d’elle » (la vie) ou, pourquoi pas « Sauve qui peut (la vie) » (toujours), voire « Bande à part » (jetez un œil du côté du Labo 6)… Ou « La vie des morts » ?… mais on s’égare. Rencontre de hasard. Il se trouve que j’ai découvert le film en vidéo hier. La question de son actualité est hors de propos, en raison à la fois de l’argument et de la qualité de l’œuvre.
L’argument, donc : un seul lieu, un bâtiment nu et austère, hors d’âge, une semaine, égrenée jour après jour. Les morts transitent par là, entre leur décès et le moment du départ vers l’éternité. Ils sont accueillis par un personnel compétent et bienveillant qui leur indique les règles du jeu : les morts ont trois jours pour choisir leur « meilleur souvenir », celui-ci sera filmé et projeté. Une fois qu’il aura été ainsi revécu par chacun d’eux, les morts l’emporteront avec eux en oubliant tout le reste. A partir d’une question qui pourrait alimenter une discussion de fin de soirée ou de dimanche désœuvré, figurer dans une page de magazine entre « Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ? » et « Votre dernier fou rire ? », Kore-Eda Hirokazu visite des contrées aussi essentielles que la mémoire, le sens de la vie… et le pouvoir du cinéma.
Vie ordinaire, vie aimée ou vie détestée, plaisir de se remémorer ou refus de choisir, absence de souvenir, mutisme : les morts défilent, en plan fixe, la caméra épousant le regard du personnel qui mène l’entretien. Ils choisissent un souvenir amoureux ou un souvenir de guerre, le son d’un grelot, le contact et l’odeur d’une mère, les attentions d’une épouse, un accouchement douloureux ou un suicide heureusement manqué. La question est réitérée, invariable, au fil des plans : qu’est-ce que vivre sa vie ? De cette femme au visage lumineux qui s’exclame « C’est formidable d’avoir vécu ça ! » à cet homme, indécis, obligé de visionner en 70 bandes vidéos les 70 années de sa vie, désolante de « normalité », sa vie qu’il n’a pas su vivre, afin d’y trouver le souvenir qui l’accompagnera dans l’éternité. Ou ce jeune homme de 22 ans, qui préfèrerait emporter un rêve et qui décide finalement de ne pas choisir, de manière à assumer l’intégralité de sa vie. Comment faire tenir toute une vie dans un seul souvenir ? On pense alors à une réponse en forme de proverbe zen : « La goutte d’eau sait-elle que l’océan est en elle ? » Le film ne tranche pas.
Le personnel est constitué de ces morts qui n’ont pas voulu choisir. Ils restent dans l’entre-deux. Ce sont des passeurs, des accoucheurs de mémoire… ce sont des cinéastes aussi, qui discutent de la manière de représenter fidèlement tel souvenir afin que le défunt se le réapproprie au mieux. La force du propos, la simplicité et la sensibilité de son traitement, le dispositif cinématographique qui vous confronte directement aux personnages, vous entraînent à vous interroger, vous aussi, et vous sentez que c’est du côté des tripes que cela travaille. After life… titre bien factuel. Le titre original, si je ne me trompe, était quelque chose comme Beautiful life. Disons que j’aime cette idée.

S. Spandonis

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