S’il y a aujourd’hui un film qu’il est indispensable de voir et revoir et commenter et laisser lentement mûrir dans l’esprit et le sang, c’est, bien entendu, Sophie Scholl. Je viens de le voir pour la deuxième fois, je retournerai le voir sans doute ce week-end. Mais rappelons d’abord les faits. Après avoir lancé des tracts dans la cour intérieure de l’université de Munich, Sophie et Hans Scholl seront arrêtés et livrés à la Gestapo le 18 février 1943. Le film retrace le destin de la jeune étudiante lors des derniers jours qui lui restent à vivre. Quatre jours précisément, car elle et son frère seront condamnés à mort et guillotinés le 22 février, après un procès expéditif.
Agés d'une vingtaine d'années et étudiants à l'université de Munich, les frères Hans et Sophie Scholl, sont à l'origine, au printemps 1942, d'un groupe de résistance allemand au régime nazi, baptisé Die weisse rose, La rose blanche.
En moins de quinze jours, ils rédigent quatre tracts qui seront déposés chez des restaurateurs de la ville ou adressés par la poste à destination d'intellectuels non-engagés, d'écrivains, de professeurs d'université, de directeurs d'établissements scolaires, de libraires ou de médecins soigneusement choisis.
Un cinquième tract intitulé «Tract du mouvement de résistance en Allemagne» est distribué à plusieurs milliers d'exemplaires dans les rues, sur les voitures en stationnement et même dans la gare centrale de Munich. Le sixième tract qui commente la défaite de Stalingrad leur sera fatal.
Enrôles dans les Jeunesses hitlériennes, alors qu’ils étaient encore lycéens, rien, en apparence, ne prédisposait Hans et Sophie Scholl à défendre les valeurs démocratiques au prix de leur vie. Rien si ce n’est l’expérience vécue par Hans, étudiant en médecine, dans les hôpitaux du front de l’Est, rien si ce n’est leur foi chrétienne et la lecture de certains penseurs. Leurs tracts sont d’ailleurs truffés de références à Schiller, Goethe, Novalis, Lao Tseu, Aristote et des citations de la Bible. Une certaine idée de l’Allemagne menacée par la barbarie. Cette Allemagne dont ils craignent qu’elle ne soit un jour : « le peuple le plus haï de tous, exclu du monde. »
A la lecture des tracts on sent passer à travers le corps un étrange courant électrique :
« Faut-il en conclure que les Allemands sont abrutis, qu’ils ont perdu les sentiments élémentaires, que rien en eux ne s’insurge à l’énoncé de tels méfaits ? C’est bien ce qu’il semble et même, si le peuple allemand ne se dégage pas enfin de cette torpeur, s’il ne proteste partout où il est possible, s’il ne se range pas du côté des victimes, il en sera ainsi éternellement. Qu’il ne se contente pas d’une vague pitié. Il doit avoir le sentiment d’une faute commune, d’une complicité, ce qui est infiniment plus grave.
Car, par son immobilisme, notre peuple donne à ces odieux personnages l’occasion d’agir comme ils le font. Chacun rejette sur les autres cette faute commune et continue de dormir, la conscience tranquille. Mais il ne faut pas se désolidariser des autres, chacun est coupable, coupable, coupable ! »