13.4.06

El aura


J’ai vu récemment cette chose : El Aura, de Fabián Bielinsky, avec Ricardo Darín. Un film argentin noir ou plutôt vert de gris. Esteban, un taxidermiste que tuer des animaux répugne, abat en pleine forêt, au lieu d’un cerf, un gangster au nom allemand suspect, tyran d’une jeune femme. Les amis de celui-ci l’entraînent dans une improbable histoire de braquage qu’achève un filet de sang suintant sous la porte d’un fourgon perdu entre les arbres. Mais l’histoire n’est pas importante pour moi. C’est l’aura qui l’est. Pas celle des œuvres d’art, ni celle des saints. Celle du taxidermiste avant la crise d’épilepsie, ce moment où les choses brillent d’un éclat singulier avant l’effondrement, cette fête de l’expérience sensible où, paraît-il, le monde s’emplit d’une sonorité qui ne ressemble à aucune musique. Apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. Mais ce n’est pas le plus important pour moi. C’est le lieu qui l’est : la forêt en question c’est la mienne, en Patagonie, près de la frontière chilienne, à dix kilomètres de l’endroit où j’ai grandi. Je connais bien ces arbres. Il m’est même arrivé de dormir dans l’une des cabanes que l’on voit dans le film, refaite pour le tournage par une amie, Mercedes Alfonsín. A la fin, c’est de là que s’échappe la jeune femme. Le son lointain vient de là-bas : Der ferne Klang.

Esteban Buch

Sophie Scholl


S’il y a aujourd’hui un film qu’il est indispensable de voir et revoir et commenter et laisser lentement mûrir dans l’esprit et le sang, c’est, bien entendu, Sophie Scholl. Je viens de le voir pour la deuxième fois, je retournerai le voir sans doute ce week-end. Mais rappelons d’abord les faits. Après avoir lancé des tracts dans la cour intérieure de l’université de Munich, Sophie et Hans Scholl seront arrêtés et livrés à la Gestapo le 18 février 1943. Le film retrace le destin de la jeune étudiante lors des derniers jours qui lui restent à vivre. Quatre jours précisément, car elle et son frère seront condamnés à mort et guillotinés le 22 février, après un procès expéditif.
Agés d'une vingtaine d'années et étudiants à l'université de Munich, les frères Hans et Sophie Scholl, sont à l'origine, au printemps 1942, d'un groupe de résistance allemand au régime nazi, baptisé Die weisse rose, La rose blanche.
En moins de quinze jours, ils rédigent quatre tracts qui seront déposés chez des restaurateurs de la ville ou adressés par la poste à destination d'intellectuels non-engagés, d'écrivains, de professeurs d'université, de directeurs d'établissements scolaires, de libraires ou de médecins soigneusement choisis.
Un cinquième tract intitulé «Tract du mouvement de résistance en Allemagne» est distribué à plusieurs milliers d'exemplaires dans les rues, sur les voitures en stationnement et même dans la gare centrale de Munich. Le sixième tract qui commente la défaite de Stalingrad leur sera fatal.
Enrôles dans les Jeunesses hitlériennes, alors qu’ils étaient encore lycéens, rien, en apparence, ne prédisposait Hans et Sophie Scholl à défendre les valeurs démocratiques au prix de leur vie. Rien si ce n’est l’expérience vécue par Hans, étudiant en médecine, dans les hôpitaux du front de l’Est, rien si ce n’est leur foi chrétienne et la lecture de certains penseurs. Leurs tracts sont d’ailleurs truffés de références à Schiller, Goethe, Novalis, Lao Tseu, Aristote et des citations de la Bible. Une certaine idée de l’Allemagne menacée par la barbarie. Cette Allemagne dont ils craignent qu’elle ne soit un jour : « le peuple le plus haï de tous, exclu du monde. »
A la lecture des tracts on sent passer à travers le corps un étrange courant électrique :
« Faut-il en conclure que les Allemands sont abrutis, qu’ils ont perdu les sentiments élémentaires, que rien en eux ne s’insurge à l’énoncé de tels méfaits ? C’est bien ce qu’il semble et même, si le peuple allemand ne se dégage pas enfin de cette torpeur, s’il ne proteste partout où il est possible, s’il ne se range pas du côté des victimes, il en sera ainsi éternellement. Qu’il ne se contente pas d’une vague pitié. Il doit avoir le sentiment d’une faute commune, d’une complicité, ce qui est infiniment plus grave.
Car, par son immobilisme, notre peuple donne à ces odieux personnages l’occasion d’agir comme ils le font. Chacun rejette sur les autres cette faute commune et continue de dormir, la conscience tranquille. Mais il ne faut pas se désolidariser des autres, chacun est coupable, coupable, coupable ! »

10.4.06

Romanzo criminale


Il n’est pas toujours facile de dire pourquoi un film ne semble pas bon, et parfois cette difficulté peut même constituer l’un de ses attraits mineurs. Il s’agit de percevoir son ambiguïté, c’est-à-dire sa manière de se tenir à cheval sur la pertinence du propos, de l’approche, du style, et un je ne sais quoi de putassier qui, sans nécessairement ôter les charmes du tout, le rehaussant peut-être même aux yeux de certains, empêche qu’on se dire que c’est un bon film. Ici, un groupe de jeunes gangsters veut « prendre Rome », et remplacer les vieilles mafias en place de manière à devenir les nouveaux partenaires des « oncles siciliens » pour le trafic de l’héroïne. Par ce biais, les Brigades rouges, les manipulations occultes par l’État qui, on le sait bien, pilote l’ensemble en sous-main, la mafia, les attentats fascistes, sont évoquées en une sorte de digest courant sur l’ensemble des années 70-80 ; ça aurait pu être bien. Il y a évidemment aussi la pute aimant qu’on la traite en dame, le beau bandit qui tombe amoureux d’une pure jeunette férue d’art et un peu intello : les contrastes classiques du film de genre constituent l’horizon de ces JHTSV, jeunes hommes ténébreux et stupidement violents, dont on peut se demander en quoi ils ont pu intéresser le complaisant metteur en scène (pourtant pas mauvais a priori, il avait réalisé un très bon Les amies de cœur avec lui-même et Asia Argento). Mon hypothèse : l’ensemble du film n’est qu’un prétexte servant à mettre en scène un petit gag, qui a dû être le moteur de l’ensemble. Voici : le policier en charge de l’affaire fait dans un moment d’égarement métaprofessionnel un passage actif dans le lit de la pute, et, après que celle-ci soit partie rejoindre ses gangsters d’amis, qui ont décidé de lui offrir un bordel, lui glisse un chèque dans le miroir de sa coiffeuse. Ah oui, l’idée du flic qui paye sa pute par chèque avec nom, signature et adresse bancaire, fallait y penser ! -(ps pour ceux que ça intéresse : elle n'encaissera jamais le chèque). On peut saluer l'artiste.
Max Marcuzzi