« Revolutionnary Road » est probablement l’un des meilleurs films de l’année et aussi l’un des meilleurs de son réalisateur, Sam Mendes.
Loin d’essayer de chercher la même imagerie publicitaire que dans « American beauty » (la pin-up dans la baignoire remplie de roses, le voisin nazi etc.) ou de convoquer les poids lourds d’Hollywood pour un thriller similaire aux « Sentiers de la perdition », il décrit avec une certaine simplicité la lente déliquécence d’un couple américain moyen dont les idéaux partent petit à petit en fumée et revient ainsi à son thème de prédilection : la lente décrépitude de l’american way of life.
Frank et April, deux personnages que tout semble opposer au début (le premier est docker, la deuxième se rêve actrice) se mettent en couple par amour, peut-être, par soif d’aventure, probablement. Comme le dit d’ailleurs April dans le film, son attrait premier pour Frank était qu’elle avait l’impression, qu’avec lui, il était possible de songer à cet idéal de liberté, mis à mal par la société puritaine et conservatrice américaine.
Le film m’a beaucoup fait penser à « The Hours » de Stephen Daldry par sa description systématique de l’ennui des fameuses housewives américaines, entourées par un bonheur apparent (des voisins sympathiques, des propriétés magnifiques, des beaux jardins, des enfants qu’on aime) mais qui ne trouvent, dans ce bonheur, aucune réelle satisfaction. L’histoire de Frank et April, c’est l’histoire de petites trahisons qui font que la vie qu’on se construit s’éloigne inexorablement de la vie qu’on aurait rêvé et la force du film de Mendes est de montrer que cet éloignement est provoqué uniquement par les décisions des personnages.
Le personnage du fou (le fils de Kathy Bates, dans le film) est un révélateur : il prouve à Frank et April que cet idéal, dont ils ont envie, n’est ni un rêve ni une chimère mais un possible qu’ils n’ont qu’à saisir pour qu’il se réalise, il leur prouve leur incapacité à vivre ce possible, à le réaliser.
Le film est d’autant plus cruel qu’il est rappellé à de nombreuses reprises dans le film que le couple des Wheelers est un couple particulier, exceptionnel, promis à un grand destin. La peur d’affronter ce destin et en même temps, d’aller contre son héritage (le père de Frank) et son entourage (les voisins) amène les Wheelers à abandonner leurs rêves et à se conformer à l’american way of life.
J’ai trouvé ce film magnifique car il parle des désirs que l’on peut avoir, de notre impossibilité (volontaire ?) à les réaliser mais également du fait que ne pas les réaliser nous tue petit à petit, que ce soit dans notre esprit (pour Frank qui répète le destin de son père) ou dans notre corps (pour April).
Le film m’a également fait penser à « The Virgin Suicides » de Sofia Coppola dans son évolution lente et progressive vers une situation de non-retour, désespérée, suicidaire. April porte l’enfant du couple, l’enfant du renoncement alors que sa vie ne lui convient pas, que son couple bat de l’aile, que tous ses rêves s’écroulent. Cet enfant de l’amertume est un enfant maudit dans ce qu’il incarne, pour sa mère. Porter cet enfant met April dans un conflit permanent entre son corps, qui n’a qu’un désir : fuire et ce qui germe en elle : le prolongement de sa vie morne de banlieue américaine. Mendes atteind à la fin du film, des sommets quand April cherche à fuire et finalement abandonne la lutte avant de se perdre définitivement. Il y a du Douglas Sirk dans ce film mais un Douglas Sirk amère qui ne ferait pas se retrouver ses personnages à la fin, qui serait finalement plus réaliste, moins dans un schéma classique hollywoodien.
La morale du film, s’il y en a une, c’est de montrer combien nos rêves agissent sur nous de façon destructive, nous empêchant de construire, de vivre nos vies. C’est une morale bien loin de celle de l’ensemble de la production hollywoodienne.
La grande idée du film est d’avoir pris le couple de « Titanic » pour jouer les deux personnages, non seulement parce qu’ils sont d’excellents acteurs (et Kate Winslet l’a déjà prouvé bien avant de tomber amoureuse de Mendes) mais également parce que, dans notre imaginaire de spectateur, cette grande vie rêvée des personnages, c’est la leur, leur vie réelle et la vie de Jack et Rose, un couple exceptionnel. Faire jouer cette normalité et ce dégoût de soi par ce couple intensifie incroyablement la lâcheté de chacun des personnages. On sait (en tant que spectateur) qu’ils sont exceptionnels et on voit, à travers le film, que leur lâcheté l’un envers l’autre, ensemble est un lâcheté autant provoquée que subie.
La vocation d’actrice d’April n’a été avortée que parce que ni lui ni elle ne semblaient y croire, que parce qu’il et elle étaient les plus féroces critiques qui aient vu la pièce, que parce que leur amour de l’exigence et l’exigence de leur amour enterre toute prétention.
C’est la grande réussite de ce film, ne pas accuser un système mais un esprit, une façon de penser, ne pas rejeter la faute mais l’assumer.
On ne dira jamais assez combien Kate Winslet est excellente dans ce rôle, s’effaçant dans le film progressivement jusqu’à devenir transparente (on a du mal à croire que la même actrice jouait dans « Raison et sentiments » d’Ang Lee ou « Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Gondry), se mettant totalement au service de la mise en scène bien loin de la performance hollywoodienne d’une actrice comme Nicole Kidman, bien plus proche de Julianne Moore dans « The Hours » (encore…), dans une performance littéralement fluide et glissante, inconstante : libre.
Lemmycaution ( 27 janvier 2009 ) Rue 89